Category Archive:Vie paysanne

 

Chers Amis,

Tous les matins mon voisin respecte le même protocole. Quand sa porte grince, vers cinq heures, je sais qu’il jette un regard au ciel. Il sort ensuite dans la ruelle qui longe la rivière et s’accroupit au bord de l’eau. Ne fume pas, ne mange pas son bol de riz, ne bois pas de thé. Il est juste là, au bord de l’eau. Du petit banc du jardin je peux l’observer discrètement. Ses yeux parcourent les remous. La surface ondule sous le reflet du soleil levant, tout est tellement plus beau, plus tranquille, plus simple à cette heure là.

Peut-être voit-il la friture qui remonte le courant, ou une crevette qui sort de derrière un galet, une feuille emportée par les flots. Toute cette eau qui part au loin, file vers la plaine, puis le Yangtze, puis l’océan. Sa vie à lui a toujours été le village ; la nature qui l’entoure, les animaux qui l’habitent, les gens d’ici qui vivent et qui meurent.

Quelle aurait été son existence s’il était parti ? Quelle personne d’autre serait-il devenue s’il n’avait pas dû prendre soin de son frère handicapé ?

Il y a ceux qui restent et ceux qui partent, ceux qui rentrent et retrouvent étonnés ceux qui sont restés fidèles. Fidèles à la vie qui se présente naturellement à eux, la vie évidente, celle qui a fait que nous sommes nés où nous sommes nés.

sieste

Ainsi coule la rivière – 2015

Nos départs changent nos destins, et nos retours nous font prendre conscience de ce que nous n’avons finalement pas été. Son existence à lui fut donc plutôt attendue. Son frère est le simplet du village : quand une vie tient à un simple cachet de paracétamol. Enfant, une forte fièvre l’avait presque emporté. Pour finalement le quitter en confisquant au passage ses capacités auditives et ce petit quelque chose d’abstrait qui le différencie des hommes « normaux ».

(photo Xuebingqing)

700 ans, et toujours fidèle au poste

Et l’eau coule toujours dans son lit poussant des millions de petits grains de sable vers l’aval.

Nous avons définitivement quitté l’hiver, et le village retrouve avec bonheur le thé nouveau, les orchidées en fleur et l’odeur du jasmin.

La maison est fidèle au poste, et accueille comme chaque année les visiteurs malgré ses 700 ans bien tassés. Nous ne faisons tous que traverser sa vie, et nous lui appartenons finalement plus qu’elle ne nous appartient.

Quelle joie de la voir ainsi aimée et appréciée ! Un encouragement à nos efforts pour la maintenir sur pied et la cajoler.

Julien

2

Lettre d’information – hiver 2014

mai 20th, 2014 / / categories: Vie paysanne /

Chers Amis,

C’est depuis un vol vers l’Europe que je vous écris cette lettre. Nous sommes actuellement au dessus de la Sibérie, une région que j’ai traversée maintes fois dans les deux sens, la plupart du temps par les airs mais également une fois en transsibérien.
En cet anniversaire des dix ans du projet Chawu, je ne peux m’empêcher de porter un regard quelque peu mélancolique sur ces belles années en Chine. Je me rappelle de ce premier aller simple pour Pékin qui me transportait vers l’inconnu, seul. En parcourant une édition du Monde disponible à bord je lisais : "Lucien Bodart est mort".
Quatre ans plus tard je foulais pour la première fois les rues du village. J’étais loin de penser que c’était pour y consacrer une partie si importante de ma vie.

Cela fait donc désormais dix ans que j’ai acheté sur un coup de tête cette maison qui sera, après la rencontre de ma délicieuse épouse, la plus belle aventure que la Chine m’ait jamais offerte. Je me souviens de la motivation première qui m’emmena vers cette contrée lointaine : je voulais savoir si j’étais capable de comprendre l’être humain dans sa diversité la plus extrême. Chacun peut avoir son avis sur la question, pour moi les Chinois m’apparaissaient comme les habitants les plus énigmatiques de notre planète.

sieste

Le lendemain de l’acquisitation de Chawu – été 2003

C’est donc animé par un idéal empreint d’universalité, que je partais à 24 ans apprendre les Chinois et la Chine. Si je n’ai pas la prétention de considérer aujourd’hui que j’y suis parvenu, j’ai la satisfaction de pouvoir dire qu’il m’a été donné de partager beaucoup avec ce pays. D’y compter des amis, des rires, des lieux, des moments forts de bonheur et de douleur. Une pivoine qu’un voisin m’a offerte suite au décès d’un proche. Une peinture comme cadeau de mariage. De la sueur quand des travaux particulièrement conséquents nécessitaient que tout le monde s’y mette. Des gestes d’affection. Des regards amicaux.

Avoir pu toucher la Chine dans son authenticité est une chance que j’ai eu beaucoup de bonheur à vivre avec ceux qui nous ont rendu visite au long de toutes ces années. Il est tellement plus agréable de partager de tels moments que de les vivre seul. Merci donc à tous d’y avoir participé.

Mon voisin m’a assuré que s’il avait été Français,
il aurait voté pour moi ! – mai 2014

 

Combien de temps va encore durer le miracle ? Comment se terminera l’histoire ? Le suspense reste entier et apporte un supplément d’intérêt qui n’est pas pour me déplaire.

Chawu continue, et moi avec.

Je ne peux prendre congé de vous sans vous signaler ma participation en tant que candidat aux élections des Conseillers Consulaires qui se dérouleront le 25 mai prochain ; et ce sur la liste Français de Shanghai, citoyens solidaires. Pour ceux qui vivent dans la circonscription de Shanghai, je vous invite à prendre part à ce vote important pour notre communauté.
En ce qui me concerne, je m’engage, au-delà des clivages politiques, à me consacrer avec la même passion à la défense de nos intérêts.

Parce que je ne suis pas certain que la vie m’offre à nouveau l’opportunité de rédiger un slogan à mon nom, je ne résiste pas au plaisir de le scander avec vous :

"Votez bien, votez Julien"